Nous sommes appelés à la liberté, mais être libre n’est pas facile, il est tellement plus confortable de rentrer dans le moule, de faire exactement ce que les autres attendent de nous. C’est facile, mais c’est le plus sûr moyen de passer à côté de sa vocation. Le désert est un lieu de solitude, où l’humain se retrouve face à ce qui le fonde.

Une question classique de la philosophie est celle de la différence entre l’humain et l’animal. Dans l’histoire, les penseurs ont répondu que l’humain est un animal qui prie, ou qui rit, ou qui parle (qui n’a pas qu’un vocabulaire, mais aussi une grammaire), ou qui écoute sa conscience, ou qui se sait mortel, ou qui enterre ses défunts…

Nous avons vu dans la vidéo sur la conscience que ce qui singularise l’humain dans le monde animal est qu’il a conscience de sa singularité. Comme l’a écrit Luther a plusieurs reprises : « Personne ne peut croire à ma place comme personne ne peut mourir à ma place ».

La menace du panurgisme

Selon cette définition, la première menace qui pèse sur mon humanité est le panurgisme qui est la tendance à se comporter comme les moutons de Panurge. À ne plus être moi, mais à me réduire à n’être qu’un membre d’un troupeau. Dans son livre Vivre la liberté, le pasteur James Woody écrit que s’il devait ajouter un onzième commandement au décalogue, il proposerait : « Tu ne copieras pas. » Ce qui est une façon d’honorer la parole de l’Apocalypse dans laquelle Dieu déclare : « Je fais toutes choses nouvelles. »

Être libre n’est pas facile, il est tellement plus confortable de rentrer dans le moule, de faire exactement ce que les autres attendent de moi, de me glisser dans les draps si confortables du conformisme. Vous connaissez la caricature de l’adolescent qui revendique avec force la liberté… de faire exactement la même chose que ses voisins, d’écouter la même musique, de porter les mêmes vêtements, d’avoir les mêmes loisirs et de défendre les mêmes idées.

Le désert

Dans la Bible, l’antidote au panurgisme est le désert. Nous en trouvons une illustration dans l’opposition entre deux récits qui se suivent et se répondent : la tour de Babel et la vocation d’Abraham. À Babel, tous les humains se retrouvent dans le même lieu. Ils parlent une même langue et s’unissent pour construire une tour faite de brique. Quelle est la différence entre une pierre et une brique ? Les briques sont toutes pareilles alors que les pierres sont toutes uniques. Le mythe de Babel est le symbole d’une société uniformisée dans laquelle les humains sont identiques, réduits à leur utilité en vue d’un projet unique.

Après l’échec de Babel, Dieu change de stratégie. Il ne s’adresse plus à un peuple, mais à un être unique. Il appelle Abraham à quitter la maison de son père, à s’éloigner de la foule et de la ville, pour aller au désert afin de se trouver en vérité, dans un face à face avec lui-même et avec son Dieu.

Les commentaires rabbiniques ont une illustration suggestive. Ils disent que tant qu’il restait dans la maison de son père, Abram ressemblait à un flacon d’essence de rose posé dans un coin et fermé par une cordelette. Il ne sentait rien. Du moment où il s’est mis en marche, c’est comme si on avait desserré la cordelette, son parfum a commencé à s’exhaler. Il est enfin devenu lui-même. C’est au désert qu’il a reçu un nouveau nom, Abraham, qui était le nom qui le décrivait dans sa singularité.

Dans la Bible

Le désert sera souvent au cœur des grandes articulations de la Bible.

C’est dans un désert que le peuple a reçu la Torah et son appel à vivre selon la fidélité et la justice.

C’est dans le désert que les prophètes ont appelé le peuple qui s’était dévoyé afin qu’il retrouve la fraîcheur de sa foi.

C’est dans le désert qu’au commencement de l’évangile, Jean le Baptiseur appelait les habitants de Jérusalem à changer de comportement.

Le Petit Prince a dit : « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part. » Le désert, c’est la promesse du puits.

Ne trichons pas avec nous-mêmes, les forces de conformisme sont puissantes, redoutables. Elles nous influencent plus que nous le reconnaissons. Un sage a dit que les valeurs de notre monde, qui ne sont pas celles de l’évangile, ressemblent à un gaz incolore, inodore et sans saveur que nous inhalons sans nous en rendre compte. Face à ce gaz, il n’y a qu’un antidote, le désert.

À chacun de trouver son désert, ce lieu et ce temps à part qui nous permettent de nous réenraciner, de nous réinscrire dans ce qui nous fonde, afin de nous libérer de nos conformismes.

Un apologue

Pour terminer, une illustration. Dans La vie de Brian, le film pastiche des Monty Python sur l’Évangile, Jésus essaye de convaincre la foule, qui l’écoute comme un troupeau, que chaque humain doit découvrir sa vraie personnalité. Il leur dit : Vous êtes tous des individus uniques ! Et les hommes répètent en foule, d’une seule et même voix : Nous sommes tous des individus uniques !

Production : Fondation Bersier
Texte : Antoine Nouis
Présentation : Gérard Rouzier

Cette vidéo est une rediffusion du 31 janvier 2018.