L’écoféminisme : une culture de la régénération et de la différence ! Pour retrouver une perception juste de la nature et du féminin

Comment définiriez-vous votre lien à la nature ?

Que vous dit-elle quand vous vous ensauvagez quelques heures, ou encore mieux quelques jours ?

La nature dans la compréhension d’une Création où rien n’a été laissé au hasard me parle de l’intelligence divine qu’elle reflète.

Travailler la terre avec respect est un acte de louange et d’émerveillement qui m’enracine.

Je ressens le besoin de cet ancrage avec la nature, pour me sentir unie, vivante et alignée.

Je perçois que la nature n’est pas un simple décor pour donner un cadre au tableau de notre humanité. Je comprends que nous sommes, nous créatures, au sein de la vastitude de la Création, unis dans une communauté de destin, indéfectible et voulue ainsi.

Je me demande souvent de quel Dieu nous nous faisons l’image, de comment nous révélons cette diversité, humaine et écosystémique à travers nos vies ?

Le grand défi posé à l’humanité

Se pose actuellement à nous -et plus que jamais- la question de comment «habiter en commun», hommes et femmes, humains et non-humains, l’espace fini mis à disposition sans qu’une espèce ou un genre opprime les autres et déclare que tout ce qui ne lui ressemble pas est inférieur et de moindre valeur ?

Il y a une rupture à vivre dans nos imaginaires et à incarner dans notre rapport à l’altérité.

Ce destin commun à faire perdurer, c’est le grand défi du siècle posé à l’humanité !

Pour cela il s’avère crucial de comprendre comment l’anthropocentrisme, centré sur l’humain, n’a pas su cultiver et prendre soin de l’altérité. S’impose dans le même élan, de retrouver une position théocentrée, qui part de l’amour de Dieu pour toutes choses comme principe d’unification entre les êtres vivants et délègue à l’Homme d’orchestrer cette diversité sans l’amoindrir.

L’oppression des femmes et celle de la nature

Comme l’exprime l’écoféministe et physicienne Vandana Shiva, la vision posée sur la nature comme étant inerte, passive, exploitable à merci et la manière de considérer le féminin comme le sexe faible procède du même regard.

Dès lors on s’aperçoit que c’est la même société, construite et hiérarchisée par les hommes, qui autorise une culture dans laquelle les femmes peuvent être privées de droits et d’éducation, agressées, mariées de force, maintenues dans des rôles subalternes, n’importe où dans le monde, dans la rue ou à la maison.

Il y a un parallèle indéniable entre l’oppression de la femme et celle de la nature.

Lorsque les femmes sont réduites à des rôles de reproductrices ou de pourvoyeuses de services et de plaisirs, elles sont identifiées à comment la nature -elle aussi- a été détournée de sa vocation ultime pour être utilisée et exploitée. 

Réhabiliter le féminin

La société patriarcale s’est construite sur des valeurs qui mettent en avant des caractéristiques où globalement les capacités masculines peuvent exceller et se déployer.

Cette dominance structurelle qui assoit la primauté des principes masculins en valeur absolue par rapport à tout ce qui ne lui ressemble pas a évacué la possibilité «d’une autre manière d’être au monde» et de pouvoir le représenter.

Ce qui a été perçu comme féminin a ainsi été dévalorisé. L’éducation des enfants, les soins aux aînés, le bénévolat, le soin à la terre, tout ce qui se déploie et prend soin de la vie dans un temps long a été financièrement rabaissé parce que ces domaines ont été défini comme féminins et de moindres valeurs.

Dieu évacué de sa Création

Cette culture de la domination envers ce qui a été considéré «comme faible» s’est immiscée, sans trop d’entraves depuis ces cinq cents dernières années pour asseoir un projet de civilisation qui a peu intégré les aspirations des femmes. Leurs places dans les livres d’histoire est assez révélatrice d’une société qui s’est faite sans elles ou parfois avec, mais sans le mentionner. Ainsi :  » le plus souvent dans l’histoire, « anonyme » était une femme » comme le cite la célèbre écrivaine Virgina Woolf.

Dans le même élan, la connaissance acquise par les femmes, les paysans et les peuples autochtones pour protéger, conserver, régénérer la terre et la nature a été soit éradiquée, dévalorisée ou supplantée par la connaissance et la religion des pays dits développés.

Ainsi, comme le souligne l’écothéologien et sociologue Michel Maxime Egger, à partir du

XV ème siècle, l’Occident a été le tremplin d’une manière de voir et de penser qui a élevé la pensée rationnelle et la supériorité de l’homme pour l’asseoir dans son anthropocentrisme. Autant d’éléments qui ont érigé l’être humain «en maître et possesseur de la nature»[1].

Dans ce même élan, Dieu a peu à peu été évacué de sa Création, l’Homme dissocié de la nature et de son rôle de gardien.ne éclairé.e pour «prendre soin et cultiver le jardin» dans une posture d’humilité,… terme qui partage la même racine étymologique qu’humus et humanité !

On peut se questionner quant au fait que cette vision matérialiste de la nature ait trouvé un ancrage propice davantage dans nos pays christianisés que dans d’autres cultures.

N’y aurait-il pas là, la nécessité d’une auto-critique sincère quant à la manière dont le christianisme n’a pas su défendre le mystère d’une Création habitée par son Créateur ?

En parallèle à cette ambivalence du christianisme envers la Création, les dualismes au fil des siècles ont favorisé cette vision clivante. Ainsi ce qui était relié a été séparé : le masculin et le féminin, l’humain et la nature, le visible et l’invisible, l’intellectuel et le manuel, le rationnel et l’émotionnel, le travail qui prend soin (le care) de celui qui est rémunéré, etc.

Les femmes donnent la vie et la protègent

Par cette préoccupation de subsistance liée à leur identité, les femmes se sentent concernées par ce qui préserve les conditions de la vie tels que la sécurité alimentaire, la préservation de la biodiversité, la santé, les soins à la terre et aux autres, au sens large et sans pour autant être limitées à ces domaines.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’au niveau mondial une femme sur trois travaille dans l’agriculture [2]. Cependant moins de une sur dix est propriétaire terrienne et la moitié d’entre elles vivant en milieu rural est analphabète. Elles n’ont pas le même accès aux ressources tels que les technologies agricoles, le financement, les terres accessibles, que les hommes.

Cette mise en touche des femmes et plus globalement cette exclusion du féminin dans la gouvernance de nos sociétés n’aura pas permis l’éclosion d’une force de rééquilibrage face à l’emprise du patriarcat. Ainsi, par exemple, les femmes restent en grande majorité exclues des prises de décision en lien avec la gestion de la biodiversité alors qu’en beaucoup d’endroits elles en sont les gardiennes[3].

On le voit ce système a à la fois cantonné le rôle des femmes à des tâches secondaires et invisibilisé leurs potentiels tout en bénéficiant d’elles pour entretenir ce système productiviste.

Cette inclusion du féminin aurait peut-être aidé à la considération de cette vérité, dérangeante et contraignante, que notre civilisation ne peut pas se développer à l’infini au détriment de la nature.

L’ alliance scellée en Genèse 9:9-12 qui inclut les humains mais aussi toutes les créatures vivantes ne dit pas autre chose.

L’écoféminisme, un regard distancé du modèle dominant

Fort de ce constat, l’écoféminisme invite à intégrer d’autres manières d’appréhender la nature et l’économie et à laisser une voix aux femmes pour l’exprimer.

Il permet de comprendre comment certaines injustices subies sont plus liées qu’on ne le croit.

Si l’on devait n’exprimer qu’un seul mot qui définit la raison d’être des écoféministes ce serait  le mot «reclaim», mot difficilement traduisible dans notre langue et dont la signification couvre, comme le mentionne la philosophe Emilie Hache, à la fois la notion de se réapproprier quelque chose d’endommagé, de dévalorisé et le réhabiliter.

«Reclaim» c’est aussi mettre en lumière cette assignation socio-culturelle des rôles et fonctions attribuées selon son genre et qui a bien souvent réduit à néant les désirs et potentiels de nombreuses femmes.

A mes yeux, c’est aussi réclamer, recouvrer, reconquérir un espace, une fonction, une légitimité à travers la notion de réparation et de revalorisation auxquelles les femmes et la nature aspirent…

Comme l’exprime V. Shiva, «C’est tout le paradoxe et l’ironie de la situation : les hommes dominent mais sont en réalité prisonniers des stéréotypes de la virilité. Dans ce processus, les hommes ont été privés de leur part de féminité et des potentiels, des capacités que cela implique.»[4]

Ce qui pose problème ce n’est pas la nature ou le féminin en soi mais l’infériorité qui leur sont attribués par une vision réductrice et dualiste qui s’oppose à l’homme.

Alors de quel Dieu, hommes et femmes, nous faisons-nous l’image ?

«La terre est à l’Éternel et tout ce qu’elle contient» Psaume 24 : 1

La Parole nous encourage à faire mûrir et porter le fruit de notre identité. Elle nous invite aussi à «choisir la vie» et dénoncer ce qui pourrait l’entraver. Oserons-nous dans cet élan, retrouver une vision pleine et large, éclairée et non appauvrie des potentialités distinctes d’un féminin réhabilité, d’un masculin revisité, dans une perspective de réconciliation entre les créatures, le Créateur et la Création ?

La restauration incarnée par le Christ est globale et se déploie à toutes les relations.

A soi, à Dieu, aux autres et à la Création.

Elle commence dans le terreau incarné de nos vies  et à travers l’espérance active qui nous anime et nous met en mouvement.

Peu (ou pas ?) de livres sur l’écoféminisme chrétien.

Certains ouvrages abordent toutefois le sujet de l’écoféminisme ou de l’écospiritualité de manière ciblée et percutante.

-«La Terre comme soi-même», repères pour une écospiritualité, de Michel Maxime Egger, 2012, Ed. Labor et Fidès

-«Vandana Shiva, pour une désobéissance créatrice», entretiens avec Lionel Astruc, 2014 , Ed. Actes Sud

[1] Passage du «Discours de la méthode» publié par le philosophe français René Descartes en 1637

[2] https://www.avsf.org/fr/posts/2485/full/les-femmes-paysannes-actrices-essentielles-du-developpement-de-leur-pays

[3] http://www.unesco.org/new/fr/natural-sciences/priority-areas/gender-and-science/cross-cutting-issues/the-gender-dimensions-of-biodiversity/

[4] «Pour une désobéissance créatrice», entretien avec Vandana Shiva par Lionel Astruc, 2014, Ed. Actes Sud

Coproduction : Regards protestants – Regards protestants / Servir ensemble – servirensemble.com
Intervenante : Sylvie Perrin-Amstutz

Cette vidéo est une rediffusion du 22 juin 2021.