Pouvoir et parole en réunion d’église

Plusieurs choses influencent la façon dont on fonctionne en église. Certaines sont explicites, comme par exemple notre théologie, ce que nous considérons important. Mais d’autres influences sont implicites et pas toujours reconnues, comme la culture du pays où nous vivons. Et parfois, notre culture d’origine travaille à contre-pied de notre théologie. C’est le cas par exemple pour la question de la place des femmes dans le ministère. Je m’adresse ici aux églises qui pensent que les femmes ont toute leur place dans le ministère et en responsabilité d’église, mais qui constatent peut-être que lors des réunions, elles ne disent pas grand-chose…

Il y a quelques années, je suivais des cours de théologie les weekends dans une petite école biblique. Il y avait plus ou moins la parité dans la classe, mais il me semblait qu’on entendait peu les femmes et j’ai décidé d’en avoir le cœur net. J’ai téléchargé une application pour mesurer le temps de parole, et le weekend suivant j’étais prête. Sur trois sessions de cours, et malgré la parité parmi les étudiants, les hommes occupaient approximativement 75% de l’espace de parole. Au repas de midi, je partage ma petite expérience, et un de mes camarades me rassure qu’il n’y a ici nul sexisme, mais qu’il se trouve simplement que les hommes de la classe ont plus de choses à dire.

Le mythe des femmes bavardes a la peau dure. Pourtant, les études universitaires ont montré qu’en réalité, les hommes parlent en général plus que les femmes, et ce surtout dans les environnements mixtes et dans les contextes formels, où les contributions augmentent le statut social.[1] Environnement mixte et contexte formel, comme par exemple les salles de classe, ou encore les réunions d’église.

Vous avez peut-être déjà fait l’expérience d’une réunion d’église où une personne prenait régulièrement la parole pour dire la même chose, et le groupe finit par décider de faire ce que proposait cette personne, même si personne d’autre ne trouvait vraiment cela nécessaire. De fait, une méta-analyse de 2002 a montré que les personnes dominantes sont celles qui parlent le plus.[2] Ceux qui parlent le plus choisissent les sujets de conversation, transmettent leurs idées et influencent ceux qui les écoutent. Pour les hommes, donc, prendre plus la parole peut être une façon d’établir leur pouvoir.

A l’autre bout de l’échelle du pouvoir, les minorités non-dominantes ont recours à d’autres techniques pour s’affirmer. Le plus souvent, elles trouvent une expression de pouvoir dans le silence. Elles se désengagent.[3] C’est comme si elles pensaient « J’ai bien compris que ma voix ne sera pas entendue, alors je me retire. » Le silence peut établir le pouvoir de ceux qui l’utilisent, si nous utilisons comme définition du pouvoir la capacité de faire faire aux autres quelque chose qu’ils n’auraient pas fait d’eux-mêmes.

Si vous animez une réunion et remarquez que une ou plusieurs personnes ont arrêté de participer, n’en tirez pas trop vite la conclusion que ces personnes se fichent de ce qui se passe. Peut-être qu’il s’est passé qqch qui les a fait sentir pas à leur place.

Donc : réunion d’église avec une femme pasteur, où les hommes parlent plus et décident des sujets et les femmes se taisent.

Comment mitiger ça ?

Quelques outils tous simples :

  • En être conscient. Ouverture de réunion, signifier l’intention d’écouter chacun et chacune.
  • Le tour de parole C’est bête mais magique, de s’assurer que chacun a eu la possibilité de parler sans interruption avant que la première personne reprenne la parole.
  • Limiter le temps. Feminist time keeping, limiter le temps d’une personne assure que les autres en auront.

[1] Renard, Noémie (08 juillet 2012) “ Les attributs du pouvoir et leur confiscation aux femmes. Le genre et la parole”. Antisexisme.net. ISSN 2430-5812. Consulté le 5 janvier 2021. https://antisexisme.net/2012/07/08/genre-et-parole/
[2] Mast MS. « Dominance as Expressed and Inferred Through Speaking Time ». Human Communication Research. 2002;28(3):420–450.
[3] Roy, Beth. « Power, Culture, Conflict » dans Re-centering Culture and Knowledge in Conflict Resolution Practice, Mary Adams Trujillo éd., New York : Syracuse University Press (2008), 179–194.

Coproduction : Regards protestants – Regards protestants / Servir ensemble – servirensemble.com
Intervenante : Salomé Haldemann